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Pour autant, l'Europe, déjà corsetée dans des contraintes environnementales draconiennes, ne saurait endosser un rôle de chef de file mondial. C'est d'autant plus vrai à l'heure où la Chine a été parfois associée à des projets néfastes pour l'environnement, que ce soit en ce qui concerne les énergies fossiles, les infrastructures ou encore la déforestation. Pas besoin d'aller plus loin que dans ma région du Grand Est pour se convaincre de l'impact de la forte demande chinoise de bois d'importation.
Deuxièmement, il est exact que l'agroécologie recèle un potentiel économique sous-estimé; mais il incombe aussi aux pays concernés de se doter des cadres, notamment juridiques, favorables à son essor. Il est également urgent de mobiliser les nouvelles sources de financement du développement durable, au-delà de la seule aide internationale. Par exemple, les fonds envoyés par les émigrés à leur pays d'origine atteignaient en 2017 466 milliards de dollars, soit environ trois fois la valeur de l'aide publique au développement. C'est un gisement de ressources insuffisamment exploité. Pour tout dire, le seul prisme d'une responsabilité européenne et occidentale me semble être une approche largement dépassée, car dans notre monde multipolaire, notre action ne pèsera guère si elle ne s'inscrit pas dans un effort global.
Ce rapport est un peu un hommage à tous ceux qui sont partis, ceux qui ont été tués, ceux qui continuent à être persécutés dans la défense de leur territoire, victimes de violences contre les populations autochtones et de l’expropriation de leurs terres: cela ne fait pas encore partie du passé, mais a bel et bien encore lieu. La marchandisation de la nature et de la terre, la pression des industries extractives et agricoles, et la perception d’une nature vierge libre de toute activité humaine continuent d’alimenter la dépossession des terres et des ressources.
L’Union européenne doit reconnaître sa responsabilité dans l’aggravation de l’accaparement des terres et de la destruction des forêts; mais il ne faut pas qu’elle tombe dans l’écueil d’imposer des pratiques de conservation coloniales aux pays riches en forêts. L’histoire de la conservation de la nature est une histoire d’expropriation et de violation des droits de l’homme. Rappelez-vous, la première aire protégée moderne était le parc national de Yellowstone aux États-Unis, qui a été créé en 1872 en expulsant les Amérindiens qui y vivaient et dépendaient de ses ressources pour leur survie. En Afrique, la création d’aires protégées a pris racine durant la colonisation, notamment pour organiser des réserves de chasse, et cela a entraîné divers conflits.
Il y a néanmoins de bonnes nouvelles. Regardez en Australie ce qu’il s’est passé il y a quelques jours: le gouvernement australien a remis des terres aux peuples aborigènes, notamment plus de 160 000 hectares rétrocédés aux peuples autochtones, dont les peuples Kuku Yalanji, dans la plus vieille forêt primaire au monde. Donc, tout n’est pas perdu, surtout de la part des Australiens.
De nombreuses aires protégées ont mené à des déplacements partiels ou complets, sans compensation, des peuples autochtones et des communautés locales. Dans le même temps, on observe des concessions industrielles d’exploitation du bois, des concessions minières ou d’huile de palme qui sont autorisées au sein de réserves naturelles, cherchez l’erreur.
Ces peuples représentent quand même à peu près 5 % de la population mondiale, mais gèrent au moins 25 % de la surface terrestre, où se concentre près de 80 % de la biodiversité. Ces peuples entretiennent donc traditionnellement un rapport privilégié avec leur environnement. Des lois et traités internationaux protègent leurs droits, notamment la convention nº 169 relative aux peuples indigènes et tribaux, ou encore la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui stipule clairement que ces derniers ne peuvent être expulsés de leurs terres sans avoir donné leur consentement libre, préalable et informé.
Il faudra être attentif sur un point, et cela figure dans le rapport, à savoir ce qu’on appelle les solutions basées sur la nature; on a fait le marché du carbone, il ne faudrait pas qu’on fasse aussi le marché de la biodiversité, parce que des problèmes pourront se poser sur ce qu’on appelle les compensations: on voit beaucoup d’industries pétrolières, comme Shell ou Total, qui peuvent continuer à polluer, à condition qu’elles compensent leurs pollutions en CO2. En prenant des terres dans les pays du Sud et en faisant des plantations, elles peuvent alors dire qu’elles ont un bilan carbone neutre. C’est donc vraiment un risque: il ne faudrait pas que la destruction de notre environnement soit compensée au détriment des peuples autochtones et des communautés locales.
Le deuxième aspect est la cohérence entre nos politiques de développement et la conservation des ressources. Il y a aussi le problème de tout ce qui touche à l’agriculture et notamment au problème de la technologie des OGM. Je ne parle pas de l’Europe mais de l’Afrique. Est-ce que cela vaut le coup de développer ces technologies, alors qu’il vaut mieux défendre les semences locales qui peuvent se transmettre d’une communauté à une autre? Il faut aussi considérer le problème du forçage génétique, qui ne doit pas être autorisé. Je suis très contente, Madame Urpilainen, que vous soyez là: il faut vraiment interdire l’exportation des pesticides dans ces pays-là, dès lors qu’ils sont interdits en Europe. Il y a donc un panel de possibilités extraordinaires dans ce rapport et je vous demande de le voter.
Donc, je vois qu’il y a une prise de conscience sur le fait que l’Union européenne – et si on peut doubler le budget, ce sera formidable – doive vraiment défendre la diversité des écosystèmes. Pour cela, un deuxième mot a été régulièrement répété dans vos interventions, il y avait une vision holistique, mais il y avait aussi la vision de cohérence entre ce qu’on fait en Europe et ce qu’on fait dans les pays en voie de développement. Il ne faut pas que nos actions se contredisent, parce que si l’on subventionne des industriels qui extraient des énergies fossiles ou qui dégradent le milieu et qu’on ne renforce pas suffisamment la législation – et nous pouvons avoir une influence grâce aux doubles standards –, vous voyez que tous les efforts faits au niveau de l’Union européenne ne pourront pas avoir de répercussions. Je trouve donc que ce terme de cohérence dans nos politiques est très important.
Enfin, je vous ai souvent entendu parler de la politique commerciale. En effet, nos accords commerciaux sont déficients, car ils ne mettent pas suffisamment l’accent sur les contraintes relatives à la sauvegarde de la biodiversité. C’est le commerce qui est premier, mais je trouve qu’il faut vraiment renforcer l’importance du climat et de la biodiversité dans nos accords commerciaux, avec un aspect dissuasif pour les pays – on pense au Brésil, mais on pourrait penser à l’Uruguay, au Paraguay, etc. On parle de déforestation importée et c’est de notre responsabilité. Donc, je pense que si tout le monde est d’accord, on pourrait aller loin et montrer que l’Europe est vraiment le fer de lance de la défense de la vie en général.
Je suis allée le constater sur place au Sénégal cet été et je peux témoigner que les objectifs ne sont pas atteints malgré l’efficacité de certains projets locaux. Au niveau global, il y a urgence, Madame la Commissaire: il nous reste moins de dix ans pour mettre en œuvre le programme de développement durable à l’horizon 2030 et donner vie à ces 17 ODD. Pour restaurer les objectifs, la biodiversité marine et terrestre incarnées par les ODD 14 et 15, par exemple, il faut bien sûr préserver, restaurer, gérer durablement mais il faut aussi actionner les 15 autres ODD. Nous parlons toujours des objectifs du développement durable comme un objectif à atteindre, mais nous devrions beaucoup plus les regarder comme la colonne vertébrale de nos politiques publiques de manière à beaucoup plus intégrer nos politiques.
Face à un problème systémique, nous avons besoin de réponses systémiques, alors je voterai ce rapport, Madame la Rapporteure, et je vous remercie et je remercie aussi votre rapporteur fictif, María Soraya Rodríguez Ramos, qui n’a pas pu être présente aujourd’hui pour ces débats.
– Monsieur le Président, comme l’a dit la rapporteure, ce rapport arrive à point nommé, alors que la COP 15 sur la biodiversité débute ce mois-ci.
Je voudrais rappeler certaines choses concernant l’objectif de protection de 30 % des terres et des mers à l’horizon 2030.
D’abord, cet objectif n’a de sens qu’avec un réseau mondial d’aires protégées qui disposent de plans de gestion et d’objectifs précis. Il faut des objectifs chiffrés d’aires à fort niveau de protection, pour mettre fin aux «parcs de papier». De plus, ces objectifs de conservation ne doivent pas justifier la violation des droits des populations des pays en développement. En outre, il faut mettre en œuvre une approche décoloniale de la conservation, qui mette au centre les peuples autochtones, les communautés locales, la paysannerie et les petits pêcheurs artisans.
Enfin, ces objectifs de conservation ne seront que de l’écoblanchiment si nous ne transformons pas nos règles commerciales et les accords de libre-échange; nos politiques agricoles et les exportations de pesticides interdits vers le Sud; les accords de pêche et les subventions à la surpêche; les industries extractives et leurs ravages sur terre comme en mer; enfin, notre demande en produits important la destruction d’écosystèmes. Toute politique de développement sera vaine si nous ne revoyons pas notre modèle économique: ses impacts sur la biodiversité et les conditions de vie dans les pays en développement sont dévastateurs.